Chester Gould lança Dick Tracy le 4
octobre 1931 et lui fit combattre le crime jusqu'en 1977.
Créé durant la Prohibition, ce
comic-strip tira pleinement parti du climat de violence exacerbée
régnant aux États-Unis durant cette période. Même si Tracy
n'affronte pas les puissants booleggers de l'époque, il se
retrouve face à des truands sanguinaires et sans aucun scrupule.
Meurtre, kidnapping, chantage sont le lot quotidien du détective. En
cela, Gould est dans la lignée de Dashiell Hammett — dont le
premier roman Moisson rouge est paru en 1929 — et de la
revue Black Mask, ainsi que le précurseur de ce qu'on
appellera, à partir des années 40, les films noirs.
Le premier strip de la série (12/10/1931)
Malgré un dessin encore malhabile et des décors minimalistes, Gould parvient à insuffler un dynamisme certain à ses histoires. De nombreux rebondissements se succèdent à un rythme soutenu et les intrigues ne connaissent pas de temps morts. Il y a bien sûr bon nombre d'invraisemblances. Les plus flagrantes proviennent de la fâcheuse habitude qu'a Tracy de se lancer dans des actions dangereuses sans prévenir aucun de ses collègues, mais on pourra imputer cela au mythe déjà bien connu du héros solitaire. En revanche, Gould sera le premier à utiliser les possibilités offertes par la police scientifique, bien qu'elle n'en fût qu'à ses balbutiements à ce moment-là et qu'elle nous paraisse aujourd'hui bien désuète.
Ces deux premières années seront
l'occasion pour nous de faire connaissance avec quelques-uns des
personnages qui accompagneront Tracy durant sa longue carrière :
Pat, collègue et ami du détective, sa fiancée Tess et Junior. Ces
deux derniers vivront d'ailleurs de très pénibles moments qui leur
montreront que la proximité avec un tel combattant du crime n'est
pas de tout repos ! Mais Gould ne rechigne pas à l'emploi de coups
de théâtre fort opportuns (et parfois fort peu crédibles, il faut
bien le dire) pour tirer ses personnages de situations critiques et
faire triompher la loi.
Sunday du 09/10/1932
Et les bad guys me direz-vous ? En effet, Gould est célèbre pour les « trognes » de ses truands. Ceux que va affronter Tracy dans ce premier ouvrage ne sont pas aussi extraordinaires et grotesques que les Pruneface, The Blank, The Mole ou Wormy qu'il sera amené à croiser dans les années suivantes ; cependant, aucun risque de se tromper : les méchants ont bien des têtes de méchant et Stooge est là pour le prouver ! Il y a par ailleurs une constante chez les malfaiteurs que croise Tracy : ils n'abandonnent jamais et ne reculent devant aucun crime. S'ils s'enfuient, c'est pour mieux préparer leur retour et leur vengeance. Gould dépeint là une guerre sans merci dont l'issue des combats est souvent fatale. La rédemption ne semble pas faire partie du bagage intellectuel des gangsters qu'on nous présente.
Ce premier volume nous montre la genèse
d'un comic-strip hors du commun, tant par sa durée que par sa
qualité, même si les histoires n'ont pas encore atteint leur
maturité ni le dessin la maîtrise qu'il affichera par la suite.
Malgré tout, la différence entre le début et la fin du volume est
sensible.
Stooge entre en scène (05/01/1933)
L'objet en lui-même est un volume cartonné, avec jaquette, de 25 cm x 18,5 cm. Le contenu éditorial est composé d'une courte introduction, ainsi que de la première partie d'une interview de Chester Gould, qui se poursuivra dans les volumes suivants. Les strips quotidiens sont présentés à raison de deux par page, avec une qualité de reproduction tout à fait remarquable. La taille de ces strips permet une lecture très confortable. En ce qui concerne les planches du dimanche, il faut préciser que, du 4 octobre 1931 au 22 mai 1932, elles étaient totalement indépendantes de l'histoire contée dans les dailies et, de ce fait, elles ont été rassemblées en fin de volume. Elles se présentent d'ailleurs comme de petites histoires sur une planche ou à suivre sur deux semaines. À partir du 29 mai 1932, elles s'intègrent dans l'intrigue en cours dans les dailies et sont donc reprises dans le corps du volume. Notons que durant les premiers mois où dailies et Sundays se sont raccordés, il se passait assez peu d'événements importants dans ces dernières, sans doute pour ne pas pénaliser ceux qui n'achetaient pas leur journal le dimanche. Il faudra attendre près d'un an pour que l'histoire se déroule de façon plus uniforme sur toute la semaine, cela au prix d'un petit résumé sur chaque strip du lundi. Ce petit résumé finira lui-même par disparaître. Précisons tout de même que les Sundays non raccordées sont présentées en couleurs puis en noir et blanc lorsque le raccord à la trame narrative des dailies est effectuée. Nulle explication n'est donnée et je ne peux pas dire si ce passage au noir et blanc est un choix de l'éditeur ou une réalité de l'époque...
Cet ouvrage n'est peut-être pas le
premier achat à faire si l'on ne connaît pas du tout Dick Tracy. Il
vaut mieux dans ce cas-là s'orienter vers l'un des volumes portant
sur les années 40 et, si l'on est accroché, l'acheter
ultérieurement. En revanche, pour ceux qui y ont déjà goûté,
n'hésitez pas : la mise en place de la saga mérite le détour.
(Éric
Bretenoux)
Merci Eric pour cette très bonne chronique.
RépondreSupprimerTu m'as une nouvelle fois donné envie de reprendre la lecture de ce chouette comic strip.