Volume 1 : 1946-1948 (IDW Publishing)
Alex Raymond, né en 1909, entamera sa
carrière en 1930 en encrant le comic strip Tillie the
Toiler, de Russ Westover. Celui-ci le fera entrer au département
artistique du King Features Syndicate (KFS), où il sera remarqué en 1931
par Chic Young qui lui demandera de l'aider pour Blondie. À
la fin de cette même année, Lyman Young, le jeune frère de Chic,
l'engage comme assistant sur Tim Tyler's Luck (Raoul et
Gaston en France).
À la fin de 1933, le KFS décide de
créer une série de science-fiction afin de concurrencer Buck
Rogers, créé cinq ans plus tôt. Raymond présente un premier
projet, qui sera rejeté. Le second sera le bon et, après qu'il ait
accepté d'ajouter une série d'aventures dans la jungle, Flash
Gordon et Jungle Jim paraissent pour la première fois le
7 janvier 1934, en sundays uniquement. Dans le même temps et
après avoir reçu de nombreuses sollicitations, KFS décide de
confier au jeune dessinateur un strip policier quotidien,
conçu par l'écrivain Dashiell Hammett. Secret Agent X-9
débutera le 22 janvier 1934.
La charge de travail étant trop
importante, il abandonnera Secret Agent X-9 à Austin Briggs,
qu'il avait engagé comme assistant. Raymond poursuivra Flash Gordon
, aidé ponctuellement par Briggs, jusqu'à son engagement dans les
Marines le 15 février 1944. Il rentrera du théâtre d'opérations
du Pacifique en septembre 1945, après la reddition du Japon, pensant
pouvoir reprendre Flash Gordon dont la continuité avait été
assurée par Briggs. Mais KFS avait signé avec ce dernier un contrat
lui en assurant le dessin jusqu'en juillet 1948. Se retrouvant, comme
des millions de démobilisés, sans travail, Raymond lancera donc un
nouveau strip. Rip Kirby débutera sa carrière de
détective le 4 mars 1946.
Les deux premiers strips plantent
immédiatement le décor : Rip Kirby est un ancien athlète, un
scientifique, un détective amateur et un héros de guerre. Qui plus
est, il est aisé. Voilà qui le différencie de ses collègues
Philip Marlowe ou Mike Hammer, lui permettant de choisir les affaires
qui l'intéressent et de voyager.
Nous avons aussi fait la connaissance
de Desmond, perceur de coffres-forts repenti et majordome exemplaire,
britannique jusqu'au bout des doigts. Il faudra attendre le quatrième
strip pour voir apparaître la blonde fiancée de Rip : Honey
Dorian (Muguette en français). Il manque un quatrième personnage,
mais nous en parlerons plus loin.
Ce premier volume contient huit
histoires :
- « The Chip Faraday Murder »
(04/03/1946 - 20/04/46) : un jeune modèle est assassiné sur le pas
de la porte de Rip Kirby. Ce meurtre va l'amener à combattre des
trafiquants de drogue œuvrant dans les milieux huppés de New-York.
- « The Hicks Formula »
(22/04/1946 - 26/06/1946) : Honey emmène Rip au mariage d'une de ses
amies, fille du doyen de l'université où elle a fait ses études.
La formule d'un produit chimique mortel, mise au point par un
professeur, est volée et commence à faire des victimes.
- « The Mangler »
(27/06/1946 - 02/11/1946) : c'est dans le strip qui ouvre
cette aventure, le 27 juin 1946, qu'apparaît pour la première fois
le quatrième personnage marquant évoqué plus haut. Il s'agit de la
brune Pagan Lee, appelée à causer bien des tracas à Rip Kirby.
Elle est à ce moment-là la maîtresse du Mangler, gangster évadé
d'Alcatraz et qui deviendra par la suite l'un des ennemis les plus
redoutables du détective. Pour l'heure il cherchera à s'emparer de
la dangereuse formule Hicks.
- « Fatal Forgeries »
(04/11/1946 - 18/01/1947) : un faussaire et maître-chanteur utilise
des enfants pour obtenir des autographes, afin de s'en servir pour
fabriquer des faux.
- « Past Imperfect »
(20/01/1947 - 24/05/1947) : un maître-chanteur s'en prend à Pagan
et menace de révéler son passé.
- « The Dolls' House »
(26/05/1947 - 11/10/1947) : Honey, jalouse des attentions de Rip pour
Pagan, décide de disparaître pour mettre son détective à
l'épreuve. Rip, au cours de ses recherches, dérangera les plans
d'une bande de trafiquants et mettra la vie de Honey en danger.
- « Bleak Prospects »
(13/10/1947 - 12/06/1948) : une amie de Pagan, veuve de guerre et
mère d'un petit garçon, a laissé ce dernier en garde auprès d'une
femme pour aller exercer son métier de danseuse durant quelques mois
loin de New-York. À son retour, la femme et l'enfant ont disparu.
Rip, appelé à la rescousse, mettra au jour un trafic qui le mènera
en Afrique du Nord puis à Paris.
- « Terror on the Thames »
(14/06/1948 - 04/12/1948) : Rip profite de sa présence en Europe
pour rejoindre Honey à Londres, où elle accompagne une troupe de
mannequins venus participer à un défilé de mode. L'une des jeunes
femmes, particulièrement capricieuse, s'est entichée du fils de
l'organisatrice du défilé et, lors d'une sortie nocturne en sa
compagnie, disparaît dans la Tamise après avoir parié à son
soupirant qu'elle allait la traverser à la nage et que celui-ci ait
essayé de l'en empêcher. Le jeune homme, sur la foi d'un témoignage
douteux, est suspecté de meurtre.
Première constatation : le dessin est
splendide. Raymond est presque à l'apogée de son art. Il est devenu
un maître du dessin réaliste et son travail sur les contrastes est
remarquable. Les ambiances nocturnes, très présentes dans la série,
sont magnifiquement rendues. La virtuosité de l'auteur se manifeste
avant tout dans le dessin de ses personnages mais les décors ne sont
pas négligés ; un taudis sordide est dessiné avec autant de
réalisme et de soin qu'un hôtel de luxe.
Scène de nuit vue par le
Maître.
Deuxième constatation : les scénarios
tiennent la route, malgré certaines ficelles occasionnelles. Le
suspense est bien mené et on sent que les histoires ont été
écrites et non pas improvisées au jour le jour. Les personnages
sont construits et même ceux qui n'apparaissent que le temps d'une
histoire possèdent une certaine épaisseur. Quant aux gangsters,
s'ils n'atteignent pas le grotesque de ceux qui peuplent Dick
Tracy, ils sont facilement reconnaissables et l'on sent que
Raymond prend plaisir à les rendre antipathiques..
De bien belles têtes de
malfaiteurs.
Rip Kirby est une série d'où la
violence n'est pas absente et dans laquelle les meurtres et les
fusillades sont monnaie courante. Quant au héros, il n'est pas un
détective de salon ; il n'hésite pas à faire le coup de poing
et le coup de feu, même si ses lunettes et sa pipe lui donnent plus
l'air d'un intellectuel que d'un bagarreur. Par ailleurs, le triangle
amoureux qu'il forme avec Honey et Pagan ne nuit pas aux intrigues et
ne fait pas basculer le strip dans la mièvrerie. Au
contraire, la rivalité entre les deux femmes est, par exemple, le
point de départ de « The Dolls' House ».
L'objet en lui-même est un volume
cartonné, avec jaquette, de 28,5 cm x 26 cm. Le contenu éditorial est composé
d'une préface de Dean Mullaney, ainsi que de deux articles de Tom
Roberts et Brian Walker retraçant la vie d'Alex Raymond et la genèse
de Rip Kirby. Les strips quotidiens sont
présentés à raison de trois par page. La reproduction est
excellente, à l'exception d'un petit nombre pour lesquels elle est
moins bonne tout en restant très acceptable. Notons que Rip Kirby
restera un strip quotidien et qu'il n'y aura jamais de
Sundays..
Encore une fois, la Library of American
Comics a conçu (et IDW a imprimé) un magnifique ouvrage à la
gloire d'un des plus grands dessinateurs de comics que les
États-Unis ont connu. Ce volume, ainsi que les quatre suivants qui
complèteront l'intégrale du Rip Kirby de Raymond, mérite de se
retrouver sur les étagères de tout amateur. Pour ceux qui sont
allergiques à la VO, on trouve assez facilement l'intégrale en
français qu'avait publiée Glénat dans les années 80.
(Par Éric Bretenou)
Merci de nous proposer cette critique. Ca fait longtemps que j'aurais dû la faire. Mais faute de temps, je n'ai pas encore pu lire sérieusement le premier volume.
RépondreSupprimerEn tout cas, ta critique me donne vraiment envie de reprendre cette lecture. Je suis rassuré de voir que l'histoire est intéressante. L'art m'avait déjà totalement conquis.
Dire que j'ai les deux premier Volumes d'IDW qui sont sur une étagère et que je n'ai pas encore attaqué!...bon ça marche comme excuse que je suis en train de lire le second tome de l'agent X9 par son fils spirituel? ;)
RépondreSupprimerEn tout cas la critique donne envie de m'y plonger dedans!!!
Raymond, c'est quand même un des trois grands de l'âge d'or américain ( avec Foster et Caniff ), et on considère souvent Rip Kirby comme son oeuvre maîtresse. Le dessin, le scénario, tout est magnifique - en gros, c'est indépassable. X9, c'est bien aussi, mais quand même un cran en-dessous à mon avis : Williamson est un excellent dessinateur, mais Raymond est un véritable génie, comme il n'y en a que quelques uns dans une génération.
RépondreSupprimerEn tout cas, merci beaucoup pour cette excellente chronique, qui résume tout à fait le contenu du recueil, et l'esprit de la série. Et c'est vrai qu'encore une fois, IDW a fait du très beau travail !
RépondreSupprimerJohn, entièrement d'accord pour le trio Raymond - Foster - Canniff, et j'y ajouterai Hogarth.
RépondreSupprimerA propos de X-9, LoAC annonce, pour une date encore indéterminée, l'intégrale des strips dessinés par Raymond.
Erratum : « Ce volume, ainsi que les quatre suivants qui complèteront l'intégrale du Rip Kirby de Raymond » ; il fallait lire « ainsi que les trois suivants » bien sûr. Ma confusion est due au fait que je pensais au cinquième tome, prévu prochainement, qui inaugurera l'intégrale des strips de John Prentice, très grand continuateur de l'œuvre de Raymond,
En tout cas, merci de vos avis.
Oui, Hogarth, évidemment... Il a enchanté mon enfance, avec ses dessins de Tarzan - parodiés de façon hilarante par Gotlib. Simplement, je ne suis pas sûr que son trait puisse être qualifié de "réaliste" à l'instar de celui des trois grands dessinateurs sus-mentionnés. Il y a quand même chez Hogarth une démesure qui l'empêche à mon sens d'être tout à fait réaliste. Il lorgne même souvent vers le fantastique, voire le caricatural .
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