vendredi 31 août 2012

Critique #68 : Cartoon Monarch (IDW Publishing)

Avis : ne cherchez aucune trace d'objectivité dans cette critique. Le Petit Roi, je l'ai connu à l'âge de trois ans (en même temps que le Professeur Nimbus) dans le quotidien que lisaient mes parents et, même si les gags devaient me passer loin au-dessus de la tête, j'étais fasciné par ces dessins si épurés et ce personnage si attachant. Disons que c'est ma madeleine de Proust.

Né en 1900 à Manhattan, de parents immigrés allemands, Otto Soglow intégra le New Yorker en 1925. C'est dans ce journal que parut la première planche du Petit Roi le 7 juin 1930. Ce personnage rencontre un succès immédiat et attire l'attention de William Randolph Hearst, le propriétaire de King Features Syndicate, En attendant que le contrat réservant l'exclusivité du Petit Roi au New Yorker arrive à son terme, Soglow dessinera pour KFS The Ambassador, sorte de spin-off se passant dans le même univers.

 The Ambassador (21 janvier 1934)

C'est finalement le 9 septembre 1934 que le petit monarque moustachu fera son entrée officielle dans l'écurie de Hearst. Il y gagnera une parution hebdomadaire, alors qu'au New Yorker celle-ci était moins régulière, et la couleur. Soglow avait déjà pu se frotter à ces nouvelles contraintes puisque c'étaient celles qui lui avaient été imposées durant dix mois avec The Ambassador. Par la suite, le Petit Roi perdra ses couleurs, mais ses aventures se poursuivront jusqu'à la mort de Soglow en 1975.

Mais qui est donc ce souverain ? Hormis le fait qu'il règne sur un royaume d'opérette, inspiré probablement - à l'instar d'Hergé avec la Syldavie et la Bordurie - par les monarchies d'Europe Centrale, sa principale caractéristique est que, bien qu'il ne soit pas muet puisqu'il prononce à l'occasion des discours ou converse avec ses conseillers, nous autres lecteurs ne bénéficierons jamais d'une transcription de ses paroles ! Certes, le strip est peu bavard en lui-même, mais on dirait qu'en adoptant ce parti-pris du mutisme relatif de son personnage principal, Soglow a voulu que nous nous concentrions sur ses actes et ses attitudes, de la même manière qu'il a épuré son dessin au maximum pour n'en laisser que l'essentiel.

 Planche du 2 mai 1937

Par ailleurs, il est facétieux et les charges du pouvoir l'ennuient : une belle combinaison pour donner lieu à des situations savoureuses lorsque, par exemple, il fait subir toutes sortes d'outrages aux portraits de ses ancêtres ou lorsqu'il se mêle incognito à ses sujets, y compris lorsqu'ils manifestent contre lui. Il y a là deux running gags que l'on retrouvera tout au long de ce strip, deux parmi bien d'autres où l'on distinguera celui de la tempête qui arrache la couronne royale (que l'on retrouvera dans des endroits tous plus insolites les uns que les autres), la visite au musée d'art moderne en compagnie de la reine (et d'où le roi ne songe qu'à s'enfuir), l'exploration des nombreux passages secrets du château royal (débouchant en des lieux inattendus) et celui de la guerre avec un royaume voisin (aux conséquences de laquelle le roi cherche à échapper par tous les moyens). On pourra ajouter son goût pour les spectacles de cabaret - et les danseuses qui s'y produisent - l'obligeant à déjouer la surveillance attentive de la reine par des ruses toujours renouvelées. Mais que cette énumération ne vous trompe pas, l'inventivité de Soglow est telle que la répétition des thèmes est compensée par les chutes toutes différentes.

Ce qui rend le personnage attachant, c'est cette réticence à être un individu à part et l'on sent qu'il serait tout prêt à se satisfaire d'une vie normale, loin des charges de l'état et du protocole qui l'étouffent. Il s'acharne à mener une existence aussi peu royale que possible, considérant avec détachement les fastes de la cour. Avec lui, une réception d'ambassadeurs étrangers se terminera plus souvent en partie de poker acharnée qu'en concert de musique de chambre. Il est en outre souvent fauché, ce qui le rapproche plus encore de son peuple, et n'hésite pas à se transformer en homme-sandwich pour renflouer les caisses . C'est aussi un non-violent, un peu couard, que les défilés militaires assomment au plus haut point et qui s'arrange toujours pour les perturber d'une façon ou d'une autre.
L'absurde est aussi une composante non négligeable de ce strip et bon nombre de gags peuvent se ranger sous la bannière du surréalisme le plus authentique.

Planche du 2 mars 1947

Difficile de ne pas tomber sous le charme désuet de ce Cartoon Monarch, qui fut un véritable phénomène aux États-Unis et donna lieu à quantité de ce que l'on appelle aujourd'hui des « produits dérivés » tels que des cigarettes ou des seaux à glace (!), ainsi qu' à une série de dessins animés et un comic book.

L'objet en lui-même est un volume cartonné à l'italienne, avec jaquette, de 24 cm x 19,8 cm, de 432 pages. Le contenu éditorial est composé d'une préface d'Ivan Brunetti, ainsi que d'un long article, très documenté, sur la vie et l'œuvre d'Otto Soglow, que l'on aurait tort de croire limitée au seul Little King. En effet, il n'a jamais cessé de collaborer au New Yorker pour y mener une carrière de cartoonist en parallèle.

The Little King n'a jamais paru sous forme de strip quotidien mais seulement en Sundays et cet ouvrage comporte un Sunday par page. L'intégralité des planches de The Ambassador est reproduite, ainsi que quelques planches de Sentinel Louie, un topper du Petit Roi durant une brève période. En ce qui concerne notre héros, les planches reproduites s'étalent sur toute sa durée de vie mais ne constituent aucunement une intégrale, hélas. une quarantaine d'entre elles sont en couleurs. La qualité de reproduction est parfaite.

Encore un ouvrage remarquable du tandem Library of American Comics / IDW, mais on commence à y être habitués. Mon seul regret, que cet album soit une compilation et non le premier tome d'une intégrale. Mais faute de grives...
Afin de vous faire une meilleure idée, vous trouverez ici (13 octobre) et (10, 12 et 15 mars) quelques planches supplémentaires dont certaines n'ont pas été intégrées à l'album. En outre, l'éditeur Pierre Horay a publié lui aussi un album sur le Petit Roi mais je n'ai aucune information sur lui.

J'espère avoir communiqué un peu de l'amour que j'éprouve pour ce malicieux Petit Roi dont j'aurai attendu le retour dans ma vie durant cinquante ans, mais ça valait le coup.
Si vous décidez d'acheter ce livre et qu'il ne vous plaise pas, ne m'en veuillez pas : je vous ai prévenus, je ne suis pas objectif !


(Par Éric Bretenoux)

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